Route du sel et de l'art sacré dans l'ancien comté de Nice - 7

Tout d'abord, nous tenons à remercier le romancier Christian MARIA membre du Cercle Bréa qui a eu la gentillesse de me fournir le diaporama de cette conférence en puisant dans ses archives iconographiques.

Cet article fait suite aux parties 1 à 6 publiées précédemment.

C) AU FIL DE LA ROUTE ROYALE

Nous pouvons faire une halte à Breil-sur-Roya dans l’église paroissiale Sancta Maria in Albis , avec un retable œuvre d’un atelier anonyme à la façon Bréa dédié à Saint Pierre comme personnage central, reconnaissable ici à sa tiare papale à trois étages ; à gauche Saint Paul avec l’épée (instrument de son martyre) et un livre comme coauteur du Nouveau Testament. À droite Saint Jérôme, docteur de l’Église, mort en 420 et auteur de la Vulgate (traduction latine de la Bible), qui se donne de grands coups avec une pierre en guise de pénitence, avec son chapeau rouge de cardinal posé devant lui ; on le retrouve en haut, mais cette fois-ci avec un livre symbole de ses recherches intellectuelles. Dans la partie supérieure on peut reconnaître à gauche Sainte Catherine d’Alexandrie, déjà étudiée à Lucéram, qui vécut au IVe siècle et qui fut au Moyen-Age une sainte très populaire malgré (ou en raison?) une biographie légendaire qui en fit la patronne des savants, des théologiens, des meuniers, des potiers et des charrons (ce qui la justifie sur la route du sel) : elle est reconnaissable à sa palme (attribut du martyre) et de la roue (un des instruments de son supplice). Au centre une représentation de la Transfiguration du Christ.

Une halte incontournable sur une dérivation de la route royale qui évite Tende en passant par la vallée de la Levenza et La Brigue. D’abord dans l’église du village remarquable par une Nativité (ou Adoration) due au pinceau attribué à Louis Bréa, retable peint aux alentours de 1514. Présentation classique avec Marie en prière à droite et Saint Joseph à gauche et, près de lui, à petite échelle, le donateur agenouillé ; au centre l’Enfant Jésus, couché sur le manteau de sa mère, entouré d’angelots qui ont sans doute été rajoutés plus tard à l’époque du Baroque. On peut distinguer à droite l’âne et le bœuf et au fond l’ange qui annonce la Nativité aux bergers grâce à un phylactère dans lequel est inscrit en latin le texte de Saint Luc (Annuncio vobis gaudiu magnum…), dans un cadre particulièrement coloré et détaillé.

Quelques kilomètres plus haut dans la vallée nous pouvons admirer la « Sixtine des Alpes-Maritimes », c’est-à-dire Notre Dame des Fontaines. L’édifice ne remonte qu’au XVe siècle mais a succédé à des bâtiments plus anciens ; la nef a été surélevée au XVIIIe siècle. Son surnom elle le doit à une décoration qui recouvre tous les murs (environ 221 m²) et qui a deux artistes piémontais : Jean Baleison pour le chœur représentant la vie de la Vierge Marie et les quatre Évangélistes, et Jean Canavésio pour le reste daté de 1492 et qui a pour thème la Passion du Christ et le Jugement Dernier . Il s’agit d’un véritable catéchisme en bande dessinée à destination des populations de passage souvent analphabètes.

L’œuvre de Baleison a été abîmée par un badigeon qui l’a recouverte à partir d’une date imprécise jusqu’en 1959. En revanche le travail de Canavésio est resté d’une incroyable fraîcheur ; j’ai comme illustration l’un des tableaux les plus célèbres : la pendaison de Judas. Le traître repenti s’est suicidé en se pendant à un arbre ; les yeux sont révulsés, la bouche ouverte laisse pendre la langue, le ventre s’est déchiré sous le choc laissant visibles les entrailles du mort ; la pédagogie médiévale pour que les fidèles aient peur de l’Enfer explique la présence de ce démon horrible qui vient attraper l’âme du damné : la pilosité bestiale, les cornes fourchues, la queue annelée, les pattes griffues, les ailes palmées sont autant de détails qui montrent la grande imagination de Canavésio ; enfin, l’âme de Judas est extirpée des organes du pendu (et non de la bouche) sans souci de précision anatomique mais avec une rapacité qui laisse à réfléchir sur le bilan de la vie terrestre en vue de l’Éternité :il faut montrer l’horreur de la damnation éternelle, ce qui est du ressort du prêtre qu’est également Canavésio.

CONCLUSION

Les routes du sel dans le Comté de Nice ont joué un rôle primordial dans le domaine des échanges entre la côte et les possessions intérieures de la Maison de Savoie et sont l’un des rares exemples d’aménagement du territoire avec les prouesses techniques (exagérées d’ailleurs) réalisées. Elles ont initié un flux de richesses – relatif- investi massivement dans le mécénat sacré, ce qui explique la densité des monuments et œuvres d’ordre religieux. Les routes du sel sont ainsi devenues des routes du sacré.

C’est pour tous ces motifs que certaines associations représentant l’ancien Comté ont émis le souhait d’un classement de la route royale au patrimoine mondial de l’U.N.E.S.C.O. Mais cela est une autre histoire.

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Johannes-Philippus FICUS hoc fecit anno MMXVIII et anno MMXXIII